Il marchait de long en large dans cette minuscule chambre de bonne sous les toits.
Il n’aurait jamais imaginé qu’à cause de la peur on puisse avoir froid ainsi.
Il tremblait par moment avec une telle intensité qu’il vacillait sur des jambes semblant ne plus vouloir le porter.
Pourtant il ne pouvait pas s’asseoir, c’était encore pire quand il restait assis : non seulement il frémissait tout autant mais en plus des nuées de transpiration déferlaient sur le ciel de son front, ruisselant par dessus ses sourcils, regroupant en gerbes étroites et noires ses cils, dévalant l’arête de son nez pour tomber comme une cascade sur l’ombre de ses lèvres, la sudation était si puissante qu’elle donnait l’impression qu’il avait mis sa tête sous les Chutes du Niagara.
Alors il arpentait la pièce à grandes enjambées en marmonnant de vagues prières tout en s’essuyant le visage de temps à autres, car même si cela n’avait pas autant d’ampleur que lorsqu’il était assis, il transpirait quand même.
Il ne pouvait s’empêcher de jeter un coup d’œil par la fenêtre alors qu’elle donnait sur les toits de l’immeuble de derrière et qu’il le savait bien : il habitait ici depuis trois mois.
En revanche il baissait les yeux et détournait la tête quand la porte se trouvait dans son champ de vision.
Il savait qu’elle allait s’ouvrir d’un moment à l’autre et qu’Elle rentrerait pour lui dire ces mots qu’ils angoissait d’entendre depuis presque une semaine, exactement depuis le jour où il avait reçu cette lettre qu’elle lui avait envoyée du Venezuela :
« Il faut qu’on parle sérieusement. Je passerai chez toi jeudi en fin de matinée. »
Il n’avait quasiment pas dormi de la nuit, imaginant tous les scenarii catastrophes possibles, était sorti de son lit avant que le jour se lève et s’était précipité sous la douche histoire d’avoir les idées claires. Il faut reconnaître que lorsqu’il s’était vu dans la glace en se rasant il s’était fait peur : les cernes qu’ils avaient sous les yeux n’étaient pas sans lui rappeler certains « trous noirs » observés du temps où il était fan d’astronomie.
Il avait bu du café – mais pas trop afin de ne pas se transformer en ligne à haute tension – et revêtu un jean neuf et un polo Ralph Lauren neuf également , dans lesquels il se sentait « confortable ».
Plus les heures passaient plus la tension montait, il savait ce qu’elle allait lui dire. Il ne fallait pas se voiler la face, il allait avoir 50 ans, elle en avait à peine 30, il avait commencé à perdre ses cheveux voilà 5 ans, elle avait un corps de déesse, lui était plutôt quelconque et un début de « brioche » faisait son apparition depuis peu.
Comment avait-il pu croire qu’elle allait rester avec un homme comme lui. Une femme de cette « envergure » n’avait que l’embarras du choix et aspirait à autre chose que finir sa vie avec quelqu’un qui serait à la retraite dans une petite dizaine d’année.
Elle avait rencontré un homme plus jeune, plus séduisant et plus dynamique que lui, et elle allait lui annoncer qu’elle le quittait, que cela avait été une belle histoire mais qu’elle s’arrêtait aujourd’hui.
Il essuya la sueur qui perlait sur son front lorsqu’un tremblement plus intense que les précédents le fit vaciller, il se rattrapa in extremis au dossier du fauteuil, son cœur s’emballait, il se sentait oppressé, il avait de plus en plus de difficultés à respirer.
Il ferma les yeux un moment, le temps de reprendre ses esprits et de calmer les battements de son cœur et les palpitations dans sa poitrine.
Ayant retrouvé son calme il ouvrait les yeux, respirant lentement quand il entendit le bruit de la clé qu’Elle glissait dans la serrure.
Il sentit une violente douleur lui transpercer la poitrine, la sueur déferla sur son front, ses poumons se contractèrent violemment et il s’effondra sur le sol : il était mort avant de toucher terre.
Et c’est bien dommage car il ne sut jamais que ce qu’Elle venait lui demander c'était de l’épouser.